En Politique de la ville, politique d’austérité

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S’il y a un domaine où il est urgent d’agir, c’est bien celui des quartiers populaires. Ce sont d’ailleurs ces derniers qui ont, de la manière la plus évidente, signalés leurs envies de changement en votant massivement aux élections présidentielle et législatives pour les candidat-e-s de gauche. Or, encore une fois, le gouvernement solférinien n’est pas à la hauteur des attentes et des enjeux. Le projet de réforme de la Politique de la ville (qui pourrait se définir comme un ensemble coordonné d’actions publiques et crédits spécifiques visant à réduire les inégalités que subissent certains quartiers), présenté le 2 aout 2013 au Conseil des ministres par François Lamy, s’inscrit malheureusement, et comme tant d’autres projets gouvernementaux, dans une démarche d’austérité mortifère pour ces quartiers, subissant des taux de chômage et de pauvreté faramineux, des dégradations des conditions de vie et de santé et d’avantage de situation d’échec scolaire.

Initiées au début des années 1980, la Politique de la ville a connue de nombreuses réformes de plus ou moins grandes ampleurs mais jamais sans grands résultats. L’ambition du ministre délégué à la ville d’en finir avec l’inefficacité n’est évidemment pas contestable, mais l’idéologie socio-libérale sous-jacente ne peut conduire à d’autres choses qu’à l’impuissance. Si la superposition des zonages, accumulés, en même temps que les dispositifs particuliers qui y avaient recours, conduisent à un manque de lisibilité de l’action publique, la simplification ne doit pas se traduire par une baisse des moyens accordés aux différents territoires. Or, en supprimant l’ensemble des anciens zonages (les ZUS, ZRU, ZFU, territoires CUCS, etc.) pour transformer quelques-uns en « Quartiers prioritaires », c’est ce qui est fait par le ministre. Et en matière d’économie, il apparait plus difficile de toucher aux exonérations fiscales des entreprises qu’aux crédits de fonctionnement des associations, premières touchées par les baisses de dotations (qui changent de nom).

Derrière l’affichage « moderniste » d’une remise à jour de la liste des quartiers concernés il s’agit d’abord de rationaliser la dépense au profit de ceux les plus mal en point, au risque d’abandonner tous les autres, pourtant encore souvent très fragiles. Si cette liste n’est pas encore définitive, il est fortement pressenti par le gouvernement de diviser par deux le nombre de quartiers concernés par les crédits spécifiques. De la même manière, le nouveau critère de revenus risque de faire fi des différents « couts de la vie » entre les régions française. Cela confirme ce que nous savions déjà, la « modernisation de l’action publique » a un prix, et ce sont les citoyen-ne-s qui payent.

Si l’objectif économique est critiquable, la méthode l’est également. En effet, l’absence de visibilité concrète concernant la liste des nouveaux « quartiers prioritaires », et la proximité avec les élections municipales, font que sa définition subit de nombreuses tractations et discussions de couloirs entre les édiles concernés et le gouvernement. Celles-ci se faisant avec comme petite musique de fond l’échange de bons procédés et les politicailleries. Les citoyennes et citoyens, pourtant directement concernés, car vivant à plus de 8 millions dans ces quartiers, sont décidément bien loin de tout ça. De manière générale, et c’est renforcé par la réforme, le peuple est trop souvent cantonné à un rôle anti-démocratique de légitimation, comme dans les conseils de quartier ou comme dans les futurs « conseils de citoyens », où à un rôle de clientèle à satisfaire. Dans tous les cas il est exclu des processus de décision.

La Politique de la ville a sans aucun doute besoin d’une véritable réforme. Mais celle-ci ne doit pas être un prétexte à réduire les dépenses et les services accordés aux habitants des quartiers. Alors qu’elle privilégie encore trop souvent une logique urbaine, à coup de milliards pour la rénovation du bâti, elle devrait plutôt axer sa stratégie d’intervention sur l’humain, sur les habitants. Les politiques « d’amélioration du cadre de vie » et de recherche de mixité sociale, financées par l’ANRU, ont trop souvent été des prétextes à des logiques spéculatives, profitant d’abord aux gros trusts bétonneurs, sans limiter (voire en les confortant) les processus de ségrégation et de gentrification. Bien que la « mobilisation du droit commun » pour les quartiers sortant des dispositifs de politique de la ville puisse paraitre une bonne idée (elle était d’ailleurs écrite dans le programme l’Humain d’abord), elle perd toute efficacité dans un contexte d’austérité. En effet, comment mobiliser le droit commun, c’est-à-dire les politiques publiques et crédits des différents ministères, lorsque ceux-ci ne disposent même plus des moyens financiers et humains pour fonctionner normalement ?

La politique en faveur des quartiers populaires doit être une politique de droit commun. Mais elle doit être une politique de lutte contre le chômage, de relance et de réorientation de l’activité économique, d’amélioration de la vie quotidienne des habitant-e-s, de démocratisation de la vie politique, de développement de services publics, d’accès aux savoirs et à la culture, etc. Bref, elle doit être une politique de gauche, solidaire et écologique, finalement bien loin de celle présentée par le ministre délégué à la ville et qui sera sans doute avalée telle-quelle par les parlementaires, juste avant les élections municipales, en mars 2014.