Des vigiles aux « milices » du capital dans l’espace public

Comme moi vous avez surement remarqué depuis quelques années une prolifération des « agents de sécurité » (sécurité du capital évidemment) de toutes sortes. Installés traditionnellement aux entrées-sorties des espaces privés à usages publics, telles que les boutiques des centres commerciaux, ils ont de plus en plus comme mission de « protéger » également l’espace public. Nous avons donc vu les « professionnels de sécurité » coloniser les espaces publics tels que les gares ou les universités.

Mais contrairement aux agents de police ou de gendarmerie qui, employés par l’Etat, poursuivent une mission d’intérêt général, les agents de sécurités ne sont les gardiens que d’intérêts particuliers. En effet, les forces de police et de gendarmerie doivent veiller à protéger l’intégrité physique et les intérêts, ces derniers étant définis par la loi, de l’ensemble des citoyens de la République, sans distinction d’aucune sorte. Elles sont (sauf cas exceptionnellement graves) au service de la population et doivent rendre des comptes dans le cas contraire. A l’inverse les « vigiles » postés à l’entrée des magasins ne sont là que pour empêcher les vols, c’est à dire servir les intérêts directs de leur employeur. De plus, contrairement aux forces légales de police et de gendarmerie qui tirent leur capacité d’action du « monopole de la violence légitime de l’Etat », les agents de sécurité n’ont aucun droit particulier de plus que les « simples citoyens ». Lorsqu’un individu, vigile ou non, vous demande d’ouvrir votre sac, rien ne vous oblige à le faire. Le seul « pouvoir » de l’agent de sécurité est de pouvoir appeler la police et n’a surtout pas la possibilité de vous retenir.

Or, les vigiles n’hésitent pas à jouer sur l’ambiguïté de leur situation pour s’attribuer des droits qu’ils n’ont pas. Avec une tenue vestimentaire particulière composée d’épaulettes, de logo divers et de talkie-walkie…, la confusion avec un service particulier de la police est vite faite, d’autant plus si les individus ne sont pas informés de leurs droits. En employant un ton fortement directif, voire en donnant carrément des « ordres », l’agent de sécurité exerce sur l’individu une forme de violence dont il n’a ni le droit, ni la légitimité.

Il ne s’agit pas ici de pointer du doigt des individus mais un système qui favorise les atteintes quotidiennes aux libertés individuelles, et qui tend à se développer à mesure que l’Etat contracte les dépenses publiques en matière de sécurité publique. En laissant le vigile regarder dans son sac, les individus participent à la création d’une société de suspicion où la charge de la preuve est inversée, et où la présomption d’innocence n’existe plus (c’est à l’individu de prouver qu’il n’a rien volé). Dans Surveiller et Punir le philosophe Michel Foucault parlait d’un abaissement du « seuil de tolérance » en faveur d’un « registre extralégal », celui de la « discipline ». Commençons par tolérer l’ouverture du sac, on tolérera plus tard la surveillance généralisée sous prétexte que l’on « a rien à se reprocher » !

Pour ne pas laisser se développer une société compromettant nos libertés individuelles et collectives pour la seule faveur de la protection du capitalisme marchand, il nous faut résister. Résister individuellement d’abord en refusant d’obéir à des gens ne disposant d’aucune autorité supérieure au « simple citoyen », particulièrement s’ils cherchent à s’imposer par la violence physique, verbale et symbolique, et résister collectivement en poussant les pouvoirs publics à contrôler cette profession (ces professions), et en informant l’ensemble des citoyens sur l’ensemble des droits de chacun face aux abus de pouvoir. Résister aujourd’hui peut permettre d’éviter d’avoir des milices privées au service du capital demain, réprimant grèves et revendications populaires à loisir.